Après Star Wars, l’ogre Marvel Comics, via le patron aux grandes oreilles, se permet de chiper à Dark Horse Comics deux autres franchises spatiales. Et voici arriver sur les étals des comics shops de bien belles sales trognes, à faire oublier à l’Homme son rêve de conquérir les étoiles.
À ma droite, dégoulinant, suintant, accroché au plafond et semblant me regarder avec une faim vorace : le Xénomorphe. L’horrible créature sera animée par Phillip Kennedy Johnson (The Last God, Hulk, un max de mini chez DC) et croqué par Salvador Larroca (X-Men, Avengers, Iron-Man).
Dans le coin opposé, le chasseur ultime, le traqueur né, le guerrier implacable, vérifiant si je n’ai pas une prime sur la tête… le Yautja aka Predator ! Les maîtres de la chasse sont cette fois Ed Brisson (Ghost Rider, du X-Men bien badass) à la plume et Kev Walker (2000 AD, Annihilation chez Marvel, Dr Aphra) aux crayons.
L’Alien ayant gagné, puis mangé, le toss, il passera en premier. Mais, avant d’ouvrir les hostilités, un petit peu d’arrogance de la part du rédacteur :
Évangile du projet « franchise » selon Saint-Matthieu :
- Pas ou peu d’utilisation de personnages piliers pour éviter les « out of character » et mécontenter une base de fan attentive et (trop) protectrice.
- Ouvrir l’univers tout en utilisant la mythologie et le lore.
- En gros, faire le contraire de Star Wars by Disney (free troll, désolé…).
La Complainte de l’Alien
L’objectif est complexe : apporter de la satisfaction aux connaisseurs avec un mix de nouveautés et d’univers connus, tout en proposant une œuvre accessible au fameux « nouveau lecteur ». Le Saint Graal artistique!
Exercice périlleux mais, et beaucoup de fans le savent, qui apporte un plaisir très particulier en cas de succès : celui d’avoir été compris, surpris, passant de la crainte à l’emballement geekesque.
Verdict ici : bon début avec Gabriel Cruz. Nouveau personnage, ex-cadre peu affable de Weyland Yutani, dont les rêves comportent une femelle xénomorphe particulièrement étrange.
Johnson marque vite des points en présentant l’un des piliers les plus intéressants, à mon sens, de l’univers : le paradoxe terreur/attirance autour du monstre. De plus, une relation père/fils tumultueuse promet d’ajouter un drama intéressant.
L’excitation prend alors possession des mains du lecteur/fan. Serait-on en présence d’un de ces petits miracles ? Quelques indices pointent ici et là vers une funeste réponse : couloirs sombres, soldats dépassés, xénomorphes implacables… le terrain devient trop connu et facile pour que l’excitation devienne exaltation.
Certes, le contexte diffère, mais le fond se rapproche trop des expériences cinématographiques, sans le talent de mise en ambiance de Ridley Scott ou le sens de l’action de James Cameron. Comparaisons rapides certes, néanmoins validées par le style du comics qui se rapproche des grands frères filmés : unités de temps et d’espace réduit, cases très cinématographiques, dessins photoréalistes (le p’tit, p’tit, p’tit fillot du chanteur de Rammstein bosse pour Weyland Yutani !). Peut-être le comics aurait gagné à miser avant tout sur ses spécificités narratives et visuelles pour apporter un petit « plus » salvateur.
Nous restons, avec ce premier arc, dans du « efficace si pas original ». Johnson coche les cases obligatoires avec néanmoins une intensité certaine lors de la journée particulièrement merdique de M. Cruz. Les corps sont broyés, les aliens sifflent sous l’impact des balles, les hurlements montent… jusqu’au silence vaguement interrompu par une alarme au loin. Laissons à ce premier arc l’excuse d’ouvrir le bal et de jouer trop à domicile.
Dans l’espace, on vous entend encooOoore crier…
Le pire est hélas à venir avec le 2ème arc qui voit les maudits xénomorphes saccager une colonie religieuse et isolée. Ajoutez le mot prison à côté et effectivement, ça ressemble au script d’Alien 3… en moins intense ! La faute, pour le coup, a un vu et revu rédhibitoire : les aliens sont des animaux sanguinaires, les humains des proies et les synthétiques des traîtres. Même les scènes clefs sont redondantes avec des chestbusters explosifs, des xéno en chasse, des nids d’aliens gluants, des élites militaires balayées… La révélation de milieu d’histoire est au-delà du cliché (« quoi ? Machin est en fait un synthétique et il méprise les humains ?! ») et manque de faire le lien avec le 1er arc où, déjà, la question de l’IA était mise en avant. Cette 2ème histoire semble ainsi déconnectée de la précédente. Johnson rate la case « cohérence/lien/fil rouge » qui peut pourtant être un moteur narratif intéressant.
L’addition de ce service minimum s’alourdit avec même une pointe de frustration. Celle née de la vision d’un potentiel certain trop peu utilisé. Mais la guerre UA/Weyland est tout juste abordée, la pathologie de l’héroïne reste un McGuffin simpliste, le projet bioarme trop basique, le parallèle entre religion et alien survolé…
Visuellement, le trait de Salvador Larroca fera débat : statique, mais détaillé, trop artificiel sur les humains mais efficace sur les décors, froid et sans émotion ici, mais violent et percutant là … Réponse de normand en ce qui me concerne : ma lecture a parfois été moins immersive à certains passages, et bien plus intense par ailleurs. Désolé, je n’ai pas mieux !
Les œufs étaient implantés. Les larves pouvaient promettre de se nourrir de la franchise et la pousser ailleurs. Vers un rôle majeur des IA et synthétiques à l’aube des années 2200 (21 ans après les films) par exemple, ou vers une relation xeno/humain plus .. diffuse..
A croire que l’objectif de Johnson était plutôt de louvoyer bien trop près des films. Ces promesses laissent sa place à des marines dépassés, des survivants qui hurlent et des cages thoraciques qui explosent. Certes, ce sont des piliers aussi, mais difficile de faire mieux que les généraux Scott et Cameron (oui oui David et JP, vous aussi !).
Le Predator prédaté
C’est sous des applaudissements polis, et quelques sifflets courageux, que notre Alien sort par la po.. le plafond, alors que le Predator entre défonce la porte, tous muscles saillants, pour nous présenter une entame de série bien étrange : deux Predators livrés à un duel à mort.
Les fans-chakkras s’entrouvrent. Allons-nous découvrir un nouveau clan ? une histoire épique au sein de leur mystérieuse espèce ? Le Yautja vainqueur retire alors son casque, faisant place non pas à un cauchemar dentaire, mais au visage fin et éreintée de Theta, une humaine ! Joli ascenseur émotionnel, le chasseur était donc le chassé et l’apex prédateur une « simple » humaine en armure de Yautja ?
Excitation mêlée de méfiance, il faut avouer. Le Predator reste très haut dans la chaîne alimentaire galactique. Comment un fragile humain pourrait penser rivaliser avec lui, là où même le puissant Dutch a du ruser pour survivre ?
Avec un rythme élevé, Brisson développe une intense histoire de vengeance, particulièrement violente. Theta en est en son centre. L’histoire exceptionnelle de celle qui est partie en chasse contre les chasseurs.
Et Brisson de se donner ainsi une mission capitale : rendre l’épopée de Theta épique et grandiose. Peu de créatures dans l’Histoire de l’Univers ont pris le même chemin, avec solitude, violence et désespoir comme compagnons.
Le verdict sera frustrant dans un premier temps. L’exercice était difficile et reconnaissons à l’équipe artistique leur ambition. Brisson s’y emploie avec sérieux et de pages en pages, la frêle Theta semble prendre de l’épaisseur.
Son ingéniosité la sauve in extremis ici et là, son sang-froid et sa combativité en font une guerrière, et sa connaissance aiguë de ces proies finit de la rendre létale. Contrat rempli pour Brisson : sa valkyrie spatiale, bardée de cicatrices, d’une prothèse et d’une rage infinie, est belle et bien crédible.
Hélas, l’auteur manque de temps à mon goût pour approfondir cette passionnante idée de la voie choisie par Theta. Une voie sombre, une spirale de détresse et de violence, parfaite pourtant pour humaniser une histoire jusqu’à la larmichette. Le final arrive ainsi bien vite et pourrait donner un goût de facilité à la lecture des ultimes pages de cette histoire.
D’autant que l’antagoniste ne brille pas par son caractère et sa personnalité. Certes…l’emploi de ces termes concernant un Predator sont à remettre dans le contexte. Mais entre le chasseur devenu proie et la purge dans les rangs des Yautjas, Brisson aurait pu approfondir son lore et apporter plus de matière à son antagoniste principal pour valider le duel final.
En ratant ces quelques marches, il manque le coche de pouvoir proposer son travail au plus grand nombre. Cette série serait plutôt à conseiller aux amoureux de la franchise. D’autant que les dessins de Walker son magnifiques et savoureusement détaillés. Rouille, délabrement, machinerie, armure… le dessinateur s’est fait plaisir et apporte un plus indéniable à cette épopée spatiale, bien plus proche d’un foutoir mécanique ultraviolent à la Mad Max que d’un space opera léché comme la Prélogie Star Wars. Totalement parfait donc pour une bonne série B dans le plus noble des sens.
Lecture pour la préparation de cette review :
Alien (2021) #1-12
Predator (2022) #1-6
Vainqueur du duel par Combi-stick dans la gorge : le Predator !
Alien : 0 / Predator : 1