Sanctum Comicsum : Batman Imposter

Deux chauves-souris pour Gotham City

81 ans que la chauve-souris de Gotham City squatte les pages de comics. Des milliers d’histoires qui se déroulent parfois sur plusieurs numéros par mois, portées par des centaines de scénaristes. Comment écrire encore sur Batman ? Autant dire que j’aurais été curieux d’être dans la tête de Mattson Tomlin lorsqu’il s’est attelé, à son tour, au Caped Crusader.

Pourtant DC Comics propose, depuis 2018, une solution intéressante pour se sortir de cette pression : le Black Label. Cette collection regroupe les titres plus « adultes » de l’éditeur et, surtout, des histoires sur les héros de leur écurie hors continuité. Si je dois en citer qu’une, l’épique et grandiose Wonder Woman : Dead Earth (écoutez l’avis de l’équipe de ComicsDiscovery ici). Bref, pas de carcan dû aux 81 ans d’histoires, pas de suites obligés, de spin off, de crossover…

Une petite « safe zone » donc pour un néophyte dans le monde du comics. Tomlin vient ainsi du grand écran avec un profil plutôt… hétérogène. Du super héros musclé avec Project Power, de la SF intense avec Mother/Android et aussi la prochaine adaptation de…Megan Man. Mais, le monsieur aurait travaillé avec Matt Reeves sur son très attendu The Batman. Ouf !

Le lien avec le nouveau meilleur film de l’Histoire pour James (à écouter dans la Batémission) est ainsi particulièrement ténu. Tomlin assume ainsi totalement sa frustration de ne pas avoir pu caser toutes ces idées dans le film de Reeves. Un coup de fil à DC Comics plus tard, le grand manitou en chef Jim Lee donne le feu vert au scénariste : Batman Imposter, 3 numéros, 180 pages, Black Label, Andrea Sorrentino, Jordie Bellaire et au boulot !

Inutile d’aller très loin dans l’édition française d’Urban Comics pour découvrir le style et l’ambiance de cette bat-itération. Couleur rouge sang, trait dur, jeu d’obscurité : émincée de violence sur son lit de drames, et l’histoire n’a pas encore commencé.

 

La Docteure, la Policière et le Vigilante

La docteure Leslie Thompkins est réveillée en pleine nuit par un bruit assourdissant. A même son sol, un homme en armure de chauve-souris se vide de son sang. Instinctivement, elle retire le masque et, le choc passé, décide d’aider Bruce Wayne dans cette douloureuse et dangereuse épreuve qu’il semble s’infliger à lui-même. Son premier bilan est inquiétant : « Bruce, je tiens à vous le dire en tant que psychothérapeute, c’est de la folie ».

3 ans que le golden boy de Wayne Entreprise combat nocturnement le crime dans la fange de Gotham City. Mais pour Tomlin, il est loin d’être l’icône intouchable, le roc incorruptible, le mentor irréprochable. C’est un jeune homme en colère, violent, prompt aux défoulements les plus brutaux, et avec même quelques pulsions inconsciemment (?) suicidaires. Son costume est une armure, ses gadgets des armes. Il n’est pas un super-héros mais un vigilante à hauteur de rue, qui planque des motos aux quatre coins de la ville et installe des tyroliennes en cachette d’un toit à un autre.

Voilà l’angle choisi par l’auteur pour tenter de se démarquer. Plus violent que celui de Year One par Frank Miller, plus perturbé que le Dark Knight du même auteur, plus solitaire que celui de l’univers DC Comics habituel, plus fragile que celui de Christopher Nolan…

Un travail de fond notable donc de la part de Tomlin, qu’il habille hélas un peu trop vite avec des thématiques déjà vues. Ce Batman est apprécié des radicaux, doit se démener seul, dans une Gotham amorphe, résignée et corrompue, chassé par la police de la ville. Sans super pouvoirs, il ne possède que ses compétences d’investigation, un entrainement très rigoureux et surtout une détermination inhumaine pour mener à bien sa double vie. Les connaisseurs s’y retrouveront vite.

Néanmoins, ce chiro-pot pourri parvient à prendre son envol et à acquérir sa voix propre. Au-delà de l’évolution alarmante d’un jeune homme brisé, l’histoire se pare d’une double enquête qui se croise régulièrement. L’occasion pour Tomlin d’introduire des personnages sans forcer et de continuer à agrandir son cadre. Le rythme peut paraître lent mais les différents visages de l’œuvre s’y mixe sans se chevaucher ou s’entrechoquer. Wayne alterne entre son cocon chez le Dr Thompkins, les égouts sombres de la ville, son chassé-croisé avec l’attirante inspectrice Wong et le sang qu’il doit faire couler. Le peu de points de vue utilisés dans l’histoire, trois principaux notamment, permettent de la recentrer sur une poignée de personnages pris dans la tourmente. Leurs multiples choix alimentent le drama et les poussent les uns vers les autres…contre les autres souvent. Qui va finir par se perdre ? Qui va se brûler les ailes et en payer le prix à vouloir aider l’indéfendable ? Qui pourra se regarder dans la glace une fois cette crise derrière eux ? Avec l’absence criante de deux piliers sécurisant et rassurant du monde de Batman, intelligemment éliminés très vite par l’auteur, comment cela peut-il bien se finir ?

 

Le stylo entre deux chaises

A mesure que les pages se tournent, les promesses sont enivrantes. Hélas, Tomlin n’embrassera pas totalement la liberté que lui donne le Black Label. Son Batman avait trouvé sa voix et tout était en place pour un final qui laisserait le lecteur en PLS. Ce n’est pas le choix du scénariste qui préfère une conclusion plus classique. Au final, malgré des efforts plus qu’intéressant, peut être le costume du Batman et son mythe était trop lourd à porter, même pour Mattson Tomlin.

Cette note de fin reste bien entendu hautement subjective. Le lecteur peu connaisseur du bat-verse (c’est votre droit mais va falloir faire un effort hein ?) y trouvera son compte. Les connaissances nécessaires pour apprécier cet écrit étant réduites au minimum syndical. Le travail du scénariste est sans fausses notes, homogène et tout à fait recommandable par ailleurs. Peut être qu’une pointe d’ambition aurait fait entrer ce récit dans la mythique « must read list » … à moins qu’il ne soit au final que l’introduction officieuse d’un certain film…

Un Batman Imposter plutôt pour les néophytes ? Pas si sûr que cela car le trait rugueux, immobile et froid d’Andrea Sorrentino ne va pas plaire à tout le monde. La rédaction de ComicsDiscovery est elle-même plutôt partagé sur l’artiste. Si vous n’êtes pas adepte, vous pouvez vous arrêtez là, merci de m’avoir lu ^^

 

Young Boy Wayne

Pour les membres de la secte sorrentinesque, c’est du bonheur classique. L’artiste continue dans la lignée de Gideon Falls (la team en parle ici) et Joker : Killer smile (et ici). Son art du découpage habille idéalement un récit schizophrène, entre une action concrète et droite et des passages psychologiques plus perturbés. Néanmoins, les transitions sont dans la mouvance du travail de Tomlin, sans brutalité ni sensation d’étapes, mais intégrées avec talent. L’histoire garde ainsi son côté profondément humain et l’aspect parfois trop immobile ou froid du dessinateur italien est désamorcé par des dialogues réalistes et les couleurs de Jordie Bellaire. Son travail semble facile et simple mais ses couleurs sont souvent bien plus subtiles et complexes qu’il n’y paraît. Et si la palette est globalement blafarde, Bellaire a décidé non pas de mettre en avant certaines cases par un ton brutalement plus éclatant, mais par une absence de colorisation proprement terrifiante. Le talent des deux artistes culmine en de nombreux points de l’oeuvre, notamment une magnifique scène de baiser sous la pluie aussi romantiquement inattendue que parfaitement sinistre.

Lecture pour cette review : Batman Imposter chez Urban Comics

Interview de Mattson Tomlin (en anglais)

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