Sanctum Comicsum : Docteur Strange – Le Crépuscule de la Magie

It's a kind of magic...

Les comics, c’est comme la cuisine : parfois, il faut supporter de la malbouffe. Mais à l’occasion, en réunissant de bons ingrédients, un chef expérimenté et une brigade habile, l’expérience prends une dimension gastronomique.

2015, alors en plein dans son désormais mythique run sur Thor, le scénariste Jason Aaron hérite du personnage de Dr Strange. La dernière série notable sur ce dernier datant de presque 30 ans, il était temps de retenter les lecteurs. D’autant que par une coïncidence marvelienne, un film sort quelques mois plus tard…

Les mauvaises langues, dont je fais parti assurément, auront qualifié ce travail de commande pour profiter de la vague cinéma. Les mauvaises langues curieuses auront en plus tenté la lecture. Fort heureusement, j’en fais également parti.

Écrire un comics sur un super héros aussi transversal que Stephen Strange demande donc des ingrédients subtils et un accompagnement équilibré. Mais, avant tout, les disclaimers étant (hélas) à la mode, je me dois d’en laisser passer un :

Disclaimer : Malgré le ton arrogant de ce début de review (genre Matthieu va nous expliquer comment on fait un bon comics…), veuillez noter qu’en aucun cas l’auteur de ses lignes ne se considère l’égal des artistes qu’il ose reviewer…sauf de Bendis quand il écrit du X-Men …

Le menu du Chef Aaron ? Une entrée en douceur, suivi d’un plat principal avec une attaque puissante qui se découvre une subtilité sur le final. Le fromage proposera une variété gustative surprenante, se liant à un dessert noir et complexe. Mettez la serviette, on est parti.

 

L’entrée : La salade classique « Origines » à la sauce Zelma sur son Sanctum Sanctorum.

Passage obligé : le rappel de l’origine et des pouvoirs du personnage principal. Le scénariste s’en accommode assez directement dés les premières pages, cassant sans vergogne le 4ème mur. Si l’originalité repassera, il faut avouer que l’efficacité reste.

Heureusement, Aaron n’en restera pas là et les origines du Docteur Strange deviendront un fil rouge important. L’ingrédient magique est la délicieuse Zelma Stanton. Véritables yeux des lecteurs, cette jeune libraire atteinte de gale surnaturelle nous accompagnera dans la vie folle de Stephen Strange. Elle devra notamment parcourir, malgré elle, l’extraordinaire maison du magicien, le fameux Sanctum Sanctorum. Après des visions et des situations aussi fantastiques qu’inquiétantes, elle finira par faire la rencontre du plus fascinant des personnages secondaires : le réfrigérateur de la cuisine. Aaron insuffle une myriade d’idées visuelles, sonores, exotiques pour brosser ainsi une mise en bouche au goût riche et immersif.

 

Le Plat : La pièce du boucher, variété « secte destructrice », accompagnée de magiciens et magiciennes, servie avec un verre de Château « Fin du Monde ».

Aaron concocte ensuite un plat parfaitement comics. Au même titre que Wolverine & The X-Men et donc Thor : God of Thunder, le scénariste distille tout ce qu’une série de super héros doit être : distrayante, fun, avec un fil rouge clair, une caractérisation efficace, de l’action, de l’intensité et le tout étant intégré dans le Marvel Universe. Et quoi de mieux qu’un bar de magiciens concernant ce dernier point ?

Malgré un ennemi peu charismatique et des enjeux basiques, le Dr Strange d’Aaron fonctionne grâce à un cadre riche, une cohérence sans faille et une humanisation de son personnage principal. Ce dernier, souvent vu comme un Deus Ex Machina facile par ailleurs, acquiert une toute autre dimension. Il mange, doit se soigner, se prends de belles peignées, séduit de jolies entités, se souvient de ses victoires et de ses échecs, tout en faisant face à un défi à la fois personnel et grandiose. Une belle pièce que ce plat principal, dont la force du récit apocalyptique est habilement habillé de saveurs bien plus simples et humaines.

 

Le plateau de fromages : Alliance de Saint Cauchemar et Bleu de Mordo, confiture d’oranges Satana, accompagné d’un verre du Domaine de l’Orb.

Le Chef Aaron enchaîne les mets naturellement et ces histoires glissent en bouche. Suite à la fin de la Magie, Strange est au plus bas. Et dans le monde des Super Héros, quand on est affaibli, ce sont rarement les amis qui viennent nous soutenir. Jolie galerie de sales trognes donc qui tournent autour du Doc en bons charognards. Un habile panorama du « Doctor Strange Universe » et un Chef qui continue de mélanger l’ancien et le nouveau. Beaucoup de visages, beaucoup de décors, des situations qui s’enchainent mais toujours un souci de cohérence et d’équilibre pour ne pas noyer le lecteur. Une pause avant le dessert où l’apparence classique de la proposition n’empêche pas les saveurs de pétiller.

Le dessert : Coulant de Misery noir

Alors que la recette typique du comics est de monter en puissance vers un final cosmique, Aaron se permet une suprise du Chef. Il prends le gourmand à revers et termine avec une histoire plus intime, psychologique, humainement difficile pour un Strange épuisé. Le rythme ralenti, la noirceur de ce dessert se répands dans des pages déstructurées et anxiogènes que même la flamboyante Déesse du Tonnerre a bien du mal à repousser. Après un tel repas, cette ultime histoire nous rapproche de l’indigestion il faut avouer. Un récit plus resserré, volontairement plus mature, lourd et direct. Mais le Chef Aaron est un maître du dosage et finalement, ce coulant se termine par une touche plus légère, un cœur citron vanille pour parachever une bien belle expérience gustative. Stephen Strange peut enfin souffler, même si les conséquences ne sont pas négligeables. Après tout, cela reste du comics, « rien ne sera plus comme avant » qu’ils disaient.

 

La Brigade chimérique

Rien n ‘aurait, bien entendu, pu se faire sans une équipe. Comment alors ne pas citer le dessinateur Chris Bachalo qui se démultiplie dans la brigade du Chef Aaron. Saucier, rotisseur, entremétier, pâtissier, l’ami Chris est au four et au moulin, aidé par une petite armée de commis notamment à l’encrage et à la couleur. Lors des pauses, il a même le droit à plusieurs tournants dont l’expérimenté Kevin Nowlan et l’éthéré Frazer Irving.

Malgré ce nombre impressionnant d’artistes, le comics reste homogène visuellement et ils en constituent même le principal liant tout au long du menu. Boostés par un titre au potentiel assez fou, les artistes rivalisent avec le Chef Aaron lui-même sur les myriades d’idées qui parsèment les aventures parfois totalement loufoques du Docteur de Greenwich Village. Monstres à tentacules, yeux à pattes, méduses métalliques, restaurant satanique…l’étrange voyage du Doc est intensément mis en image et un vrai délice à déguster…tant que l’on reste éloigné du réfrigérateur de la cuisine.

De mémoire, j’ai pu avoir la vilaine habitude de terminer ici et là des reviews par une note alcoolisée. Après un tel repas, le digestif semblait s’imposer mais le Chef a pensé à tout dans les ultimes pages : un petit verre d’eau pétillante apporté avec le sourire par une jolie fille aux cheveux blancs.

Lecture pour la préparation de la review : Doctor Strange (2015) #1-20, Doctor Strange Annual (2016) #1 et Doctor Strange: Last Days of Magic (2016) #1 réunis dans les TPB VO, regroupés dans Doctor Strange : Le Crépuscule de la Magie chez Panini Comics

Retrouvez les articles de Matthieu ici

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