Sanctum Comicsum : Grendel Kentucky

All were endangered, young and old were hunted down by that dark death-shadow who lurked and swooped in the long nights

Aaaah le Kentucky, ces paysages sauvages, son bourbon vanillé, son derby hippique endiablé, son bluegrass entrainant… Bienvenue à Grendel, Kentucky, charmante bourgade typique et accueillante. Sa spécialité ? Le trafic de weed de générations en générations. Lieux à visiter ? Le bar restaurant La Planque sur Wheeler Drive où prendre un bon burger et une bière fraîche avant la visite de la légendaire mine maudite.

Mais aujourd’hui, c’est spécial. Clyde Wallace, le boss, le patriarche, a été retrouvé mort. L’enterrement promet de rameuter du beau monde des quatre coins de l’état…de la famille éloignée…ce qui signifie une bonne biture, une baston ou deux et surtout, des histoires qui ressurgissent.

Quatre massacres et un enterrement

Voilà en quelques lignes le cadre posé dans les premières pages par l’équipe de Jeff McComsey au stylo et Tommy Lee Edwards aux crayons. Le premier est un auteur indépendant qui semble prendre un malin plaisir à ajouter des zombies partout, notamment au cours de la seconde guerre mondiale dans sa création auto-éditée FUBAR. Le second a roulé sa bosse dans quasiment toute l’industrie, sans jamais poser ses valises trop longtemps au même endroit. Mother Panic avec Jody Houser au scénar’ et Jupiter’s Legacy Requiem de Mark Millar sont ses deux faits d’armes majeurs. Les voici donc loin de leurs zones de confort, à priori. Mais quand le boulot se fait avec plaisir, ça fait des étincelles.

L’introduction est doublement percutante, un type très (très !) lourdement armé qui s’enfonce dans une mine abandonnée d’une part, et des funérailles grandioses de l’autre. Grace à un dosage habile entre paroles spartiates et images fortes, les auteurs caractérisent efficacement la petite dizaine de personnages qui s’ébattront sous nos yeux durant les 80 pages de cette histoire. Les codes sont reconnaissables : le monde underground du trafic, les bikers, une forme bien à eux de respect et de code d’honneur, des brutes, des fêlés, mais quelques braves gonzesses et gars.

Les funérailles se terminent, la gueule de bois des personnages pas encore et la vie semble reprendre son cours…sauf que quelques pages plus loin, cette mine sombre propulse, sans nous y préparer, le titre loin du crossover Breaking Bad/Sons of Anarchy auquel il semblait promis. Visiblement, le trafic de weed n’est pas le seul secret de Grendel, Kentucky.

Le mystère s’installe donc… 4 pages environ avant de péter à la gueule de Dennis et Marnie Wallace, fils et fille de Clyde, à leurs potes, leurs bandes et même à la ville entière. Le torrent de sang qui s’en suit parachève d’envoyer le récit dans le surnaturel le plus brutal.

Dire que McComsey excelle dans sa narration jusque-là est un euphémisme. Son sens du timing est impressionnant, balançant avec vigueur révélations, horreur ou surprises à chaque moment qui semblait enfin classique. L’habillage est au diapason avec notamment une utilisation très efficace de cases sans dialogues qui participe à dépeindre un monde âpre, peuplé de personnages durs, de peu de mots, dont la vie avait déjà sa dose de violence.

Vient ensuite LA révélation qui fait basculer le titre dans une seconde partie bien plus classique. Passé le choc de la découverte, le titre déroule vers l’horreur survivaliste, la vengeance guerrière, la soif de sang. Déjà vu, certes, mais non sans intérêt. Le cadre posé dans les premières pages fonctionne : découverte de ce petit monde, de cette mine, les Bikers de Marnie, le gang de Dennis, le pacte…tout est en place pour une seconde partie plus directe, débridée et brutale.

La fin, particulièrement abrupte, laisse néanmoins un soupçon d’amertume dans la bouche, comme la Kentucky IPA, la fraicheur en moins. Marnie Wallace, héroïne badass, n’a peut-être pas livré son plein potentiel depuis son retour à Grendel pour enterrer son père. Véritables yeux du lecteur dans ce récit, elle est, avec le recul, noyé dans la frénésie des premières pages avec son lot de personnages et d’action. Ce qui est plutôt paradoxal à la vue du one woman show de la seconde partie. L’absence d’explications, de développement autour de la mine, et la résolution tranchée de l’intrigue aurait gagné à avoir organisé le cadre autour de Marnie. La matière était là : fille adoptée de retour après une séparation houleuse, une relève à prendre, un choix atrocement cornélien, l’entrée dans le culte… De quoi habiller le voyage de Marnie depuis son QG d’Hickory Hill, Pennsylvanie jusqu’à la folie cathartique ultra violente non loin de Grendel, Kentucky lors des ultimes pages du récit.

Artists, Writers & Artisans

McComsey est également illustrateur. Le combo avec Lee Edwards aurait pu se perdre entre les deux mais l’alchimie a fonctionné. Ce dernier prend visiblement un pied d’enfer à dessiner fermes à marijuana, motos, bar glauque et trognes patibulaires, retraçant avec précision un bled perdu dans les années 70. Un vrai travail de fond, appliqué et référencé, qui  ancre ainsi le récit dans le réel. Les débordements sanguinolents et apparitions surnaturelles n’en sont que plus marquantes. A la fermeture du volume, une question reste en tête, pourquoi ne vois pas t’on beaucoup plus de Tommy Lee Edwards ! Et si possible, accompagné de Giovanna Niro ! La coloriste se glisse avec une facilité déconcertante dans l’œuvre, la marquant par l’utilisation d’une palette particulièrement variée, même au sein d’une même case. Son travail achève indéniablement d’apporter un côté vivant à cette communauté.

Certes, il y a donc ce déséquilibre narratif qui peut désarçonner mais qui n’empêche pas dans son ensemble d’apprécier Grendel : Kentucky comme il se doit : une série B grindhouse, rythmée, intense et généreuse. La légende remise au goût du jour dans ce coin des USA de 1971 est évidente. Je me permettrais néanmoins, pour préserver le récit, de la taire ici, tout comme je vous conseillerais de ne pas lire le résumé. A consommer un verre à la main pour appuyer un moment rugueux et sombre. Cela dit, la douceur chaude du bourbon n’y sied pas vraiment, préférez-lui un bon rye whisky plus âpre… et avec modération bien entendu.

 

Lecture pour cette review : Grendel, Kentucky (éditeur US : AWA Comics, en France chez Delcourt)

Site de Tommy Lee Edwards

Blog de Giovanna Niro

Interviews en anglais : PreviewsWorld et Hollywood Reporter

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