Sanctum Comicsum : The Wild Storm

Relecture sous adrénaline du meilleur des années 90

Un petit peu d’histoire. 1992, sept des plus grands artistes de Marvel Comics claquent la porte de l’éditeur, pourtant majeur au sein du medium. La raison, des conditions de travail professionnellement très discutables. Marvel s’octroie en effet les droits de toutes les créations en son giron. Les artistes n’ont aucun contrôle et ne récupèrent financièrement que quelques miettes.

L’affaire fit grand bruit à l’époque. Ces artistes ambitionnaient de révolutionner le système. Ainsi né Image Comics. Il y fut démocratisé le principe de « creator owned ». Contractuellement, les créatifs sont mis en avant avec un total contrôle sur leurs créations et une rétribution à la hauteur de leur travail. Ce regroupement de talents connaîtra un succès immédiat et retentissant à son lancement, avec des titres devenus cultes (Spawn, Savage Dragon, Witchblade…). Parmi eux, un nouvel univers de super héros interconnectés, lancé notamment avec les WildC.A.T.S. de Jim Lee. L’originalité n’était peut-être pas au rendez-vous et nous étions peut être un peu trop dans les années 90 (baston, muscles, filles sexy) mais les ventes suivaient. Ce nouvel univers, réunit sous la label Wildstorm, se mit ensuite à ronronner jusqu’à l’arrivée du britannique Warren Ellis sur le titre Stormwatch. Nous sommes en juillet 1996, au numéro #37. Avec l’aide de Tom Raney aux dessins, Ellis apporta plus de réalisme, de violence et une ambiance plus sombre. Le climax apparut 3 ans plus tard avec la création, suite à l’extermination de l’équipe précédente, de la fameuse Authority de Jenny Sparks. Ce jouissif coup de pied au cul du comics mainstream marqua furieusement le début des années 2000.

Homecoming et Brand new Day

Et puis la vie continua. Les comics Wildstorm subirent les affres du temps et disparurent même après une très maladroite et inutile intégration dans l’univers DC comics. 20 ans plus tard, un alignement de planètes prit place. D’une part, Warren Ellis lui-même se trouva dans une profonde remise en question de son choix de carrière de ne jamais revenir sur un ancien projet. D’autre part, il reprit contact avec Marie Javins, éditrice et amie, en poste chez DC comics. Enfin, Jim Lee lui-même passa le coup de téléphone au scénariste : Warren ? reprise de l’univers WildStorm ? mains libres totalement ? ok ?

Février 2017, sortie du #1 de The Wild Storm. Ellis le présente comme une relecture totale et actualisée des œuvres précédentes avec un recast complet des personnages. Il garde l’essence de la période Stormwatch/Authority tout en restant accessible aux nouveaux lecteurs.

La première page est ainsi toute symbolique. Le personnage de Zealot est face à un miroir, le visage taché de sang. En 1992, Zealot est une guerrière brutale en armure, membre d’un ordre fanatique religieux, la Coda, reconnaissable à la marque rouge sur le front. Ici, 2017, en s’essuyant le visage, elle efface la marque sur le front, simplement du sang. Ok, M. Ellis, ce n’est clairement pas le même personnage.

Pour la suite, nouveaux et anciens lecteurs doivent s’accrocher aux feuilles. Bienvenue dans un monde où les puissants se livrent une guerre secrète, cachée aux yeux de tous. L’International Operations de Miles Craven dirige la Terre, Skywatch d’Henri Bendix… tout le reste (je devrais sans doute vous tuer pour vous avoir révélé cette information). Et il ne fait pas vivre longtemps dans les zones entre les deux. Espionnage de haut niveau, guerre de l’information, escarmouches Black Ops, bases secrètes, armement high tech, laboratoires cachés… Ellis découvre son univers heureusement par petites touches.

Ces « joueurs » apparaissent les uns après les autres, les évènements s’enclenchent et se rejoignent, laissant au lecteur le temps d’assimiler. Mais, en bon conteur, Ellis a toujours une ou deux idées d’avance sur nous. Les révélations laissent la place à d’autres mystères et cette impression d’un livre qui s’ouvre, d’un monde qui s’agrandit constamment, est un vrai moteur de la lecture. A l’image de Planetary et Injection, du même auteur, nous voilà jeté dans un monde paranoïaque, de conspirations et d’organisations de l’ombre qui tirent les ficelles.

L’exercice est difficile. Ne pas perdre le lecteur dans les méandres de ce « jeu » planétaire cryptique est clairement le défi à relever. Alors certes, il faut s’accrocher (et privilégier une lecture d’une traite !) mais Ellis nous aide. Des checkpoints habiles (briefings, discussions…) nous aide à rester dans la course. Et heureusement, il y a Angela.

Jacob et les Chats Sauvages

Angela Spica est une ingénieure travaillant pour International Operations. Directe, peu sociable mais attachante, elle se retrouve, malgré elle, prise au milieu de cette guerre. Convoitée par les deux (voir plus) « camps », elle les force à se faire face. Pire, à dévoiler et révéler leurs plans. Voilà la porte d’entrée du lecteur, ses yeux. Car à travers elle, il pourra découvrir ce monde sous le monde et sa mythologie. Ellis parle même d’une « cosmologie » étendu sur 12 000 ans !

A ce sujet, malgré l’ampleur de l’histoire, Ellis n’oublie pas ses personnages. Un travail simple mais efficace, en filigrane, les rends crédibles et réalistes. The Wild Storm se voulant une extension extrême et complexe de notre monde, des personnages caricaturaux seraient un comble. Ainsi, le top assassin Michael Cray qui doit voir un psy, le chef du monde Miles Craven en couple autour d’un bon repas, le concours de punchlines Henri Bendix/Laura Pennington ou les relations entre les membres d’Halo sont autant d’humanisation de ces personnages. Car au final, The Wild Storm parle ce cela, des humains, de ceux qui dirigent et de ceux qui sont dirigés. A ce titre, l’auteur aurait pu appuyer un peu plus la présentation de ces pouvoirs pour les nouveaux lecteurs. Le manque d’interactions avec les gouvernements ou d’étalage de leurs possibilités nuit à leur aura, pourtant point central de cette ambiance anxiogène.

Donc, de la matière, il y en a. Mais, même si il faut avouer quelques passages très verbeux, Ellis joue plutôt bien l’équilibriste. Il n’oublie pas d’emballer son histoire d’un paquet d’actions, poussant petit à petit son petit monde vers le climax inévitable. Le rythme est bon, l’histoire se déroule naturellement, apportant ainsi sa pierre à cet édifice réaliste. Ellis ne l’a pas voulu autrement, préférant une narration plus proche du roman que du comics. The Wild Storm se divise ainsi en 4 « livres », ou arcs narratifs, jusqu’à une fin prévue depuis le début.

Jon Davis-Hunt est en charge de la partie graphique. Sous certains angles, il rappelle Jacen Burrows mais semble, dans un premier temps, pas à la hauteur. Les visages féminins sont notamment difficiles à différencier et certaines cases paraissent trop « faciles ». Et puis.. l’œil s’y fait. Hunt-Davis n’est peut être pas le plus précis ou le plus éclatant mais c’est un artiste complet. Autant à l’aise lors des scènes de dialogues que d’action, il se lâche clairement sur les scènes clefs. Ces dernières restent bluffantes, qu’elles consistent en l’apparition d’un nouveau personnage, un Evènement de grande ampleur ou de nature… inhabituelle. Les premiers numéros comportent ainsi les transformations corporelles d’Angela Spica ou les téléportations dimensionnelles d’Adrianna Tereshkova pour le prouver.

Du neuf avec du vieux… mais neuf!

Dernier mot pour les connaisseurs de l’univers WildStorm. Ce titre reste un délicieux cadeau car la redécouverte rythme constamment la lecture. Ellis l’avait annoncé, il garde l’essence de cette période. Technologie High Tech et méta-humains mixé à une haute dose de SF et des pics de violence extrême.  Et au milieu, du plaisir non stop de voir apparaître Deathblow, Emp, Spartan, Grifter, Battalion et les autres.. ou du moins une nouvelle version de ces personnages. Dans quel camp sont ils? quels sont leurs objectifs cette fois? Le lecteur des premières aventures Wildstorm que je suis s’est ainsi purement régalé… d’autant qu’à mesure que l’histoire avance, Ellis sort l’artillerie lourde. Mais, ceci toujours en servant le récit, sans fan service abusé. D’ailleurs, c’est le moment de saluer le travail du scénariste qui en profita pour injecter une bonne dose de diversité dans ces personnages datant des années 90.

En bref, on se concentre, on entre dans le récit, on lâche rien… et nous voilà avec un put*** de bon comics d’espionnage hardcore bourré d’action, de fun et de moments épiques. Un ascenseur émotionnel constant.

La fin peut se suffire à elle même même si elle reste ouverte (voir notamment les actions d’un certain John L.). Ellis et DC comics avait d’autres plans pour cet nouvel univers. L’étape suivante fut alléchante, un titre WildC.A.T.S. toujours par Ellis et Ramon Villalobos. La date de sortie fut arrêtée et une couverture fut même montrée… mais la série ne vit jamais le jour. Villalobos traversait une très mauvaise passe professionnellement et, de manière surprenante, DC Comics n’a pas pu lui trouver un remplaçant. Début 2021, toujours pas de nouvelles autour de The Wild Storm. Cet univers vaste et riche regorge pourtant d’histoires potentielles. Gageons que Warren Ellis a déjà des pages écrites quelque part. Le scénariste a ouvert la porte de Pandore en revenant sur un de ces anciens travail. Rien ne l’empêche de recommencer. Restez à l’écoute, détruisez ce message après l’avoir lu et passez loin du camion de fleurs garé en bas de chez vous.

Interview de Warren Ellis et preview du #1 (en anglais)

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2 commentaires
  1. Stylcomics dit

    Bravo pour cet article très complet et très bien écrit ! Je gardais un souvenir mitigé de ce revival dont j’attendais beaucoup, en grand fan de stormwatch/authority/wildcats/planetary. Le concept était top, moderne et bien traité. mais il manquait pour moi la virtuosité et la générosité visuelles des séries pré-citées. Mais je trouve que tu défends très bien la série ! et très bien vu l’exemple de Zealot et de la marque de sang, je ne l’avais pas vu.

  2. Matthieu dit

    Merci M’sieur Stylcomics,
    Clair que leurs ancêtres des années 90 étaient bien plus rock and roll en tout point, et à tous les niveaux (le rock, ça déménage, mais parfois c’est inécoutable ^^). Effectivement, Ellis distille ici une fraction de cet ancien univers foisonnant et hélas, les couleurs et le côté « no limit, on se fait plais' » est resté dans la cuve.

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