Sanctum Comicsum : Hellblazer : Rise and Fall

Punks not dead!

Comme tout (vieux) nostalgique du label Vertigo, je guette avec fébrilité les réminiscences et circonvolutions de ce formidable univers lors des sorties comics mensuelles. Le relaunch « The Sandman Universe » de 2018 avait été un palliatif honnête, avec déjà un John Constantine des grands soirs. Mais, le souci avec l’addiction, c’est que le besoin revient vite.

2020, les cendres de Vertigo rejoignent le Black Label de DC Comics où se concentrent des publications vers un lectorat plus adulte. Si ce dernier voit avant tout passer du Batverse, c’est bien ce bâtard de magicien de Liverpool qui pointe son trenchcoat cette année.

Les marionnettistes sont Tom Taylor, un honnête faiseur de mainstream, et Darick « The Boys » Robertson. Un scénariste fan du Constantine de Vertigo associé à un dessinateur gritty à souhait, autant dire que cette nouvelle itération du plus salopard des magus d’Albion est pleine de promesses.

 

C’est dans le vieux fût que l’on fait le meilleur John

Oui, nouvelle itération car le Black Label propose des récits, stand alone, hors univers partagé et épargné par la sacrosainte continuité. Taylor applique cette règle dès les premières pages. Ici, l’un des actes fondateurs du personnage n’est pas le drame occulte de Newcastle qui damna la jeune Astra Logue, mais un autre échec juvénile qui causa la mort de l’ami Billy.

Ok ok, Taylor ne tape pas non plus dans une originalité particulière, mais soyons honnête, si ce John Constantine diverge trop de celui apparu en 1985 aux côtés du Swamp Thing, est-il toujours John Constantine ? Si non, pourquoi ai-je acheter ce comics ??

Du classique donc. Un John arrogant, pédant, anticonformiste, rebelle, sardonique mais au fond, un cœur qui bat, même rongé par les silk cut. Le ton global s’approche également des grandes lignes précédentes : horrifique, décalé, british, fun, violent avec une charge sociale (peu subtile, certes). Et pour continuer à nous caresser dans le sens des cornes, Taylor ajoute une paire d’easter eggs. Entre autres le Dr Delano, le pub « The Dillon » ou le tag « Alan » avec un « A » anarchiste (Jamie Delano, scénariste de la première série, Steve Dillon dessinateur emblématique, Alan Moore, LE créateur). Bon c’est facile mais… ok ça fait plaisir ! Dans la foulée, et même si c’est juste le temps de quelques pages, revoir la bonne trogne de Chas et la brave Renée donne du baume au cœur…. Rhaa, il ne manquait que Cheryl et Kit…

Disgressions de vieux lecteurs, désolé mais ça vous arrivera aussi !

Bref, si Taylor fait vibrer la fibre nostalgique, il propose quand même une histoire, pas totalement convaincante hélas. Certes John Constantine est fidèle à lui-même (un poil trop soft cela dit), certes l’ambiance est là mais il manque clairement du matériel pour porter cette histoire de possession démoniaque là où elle aurait dû aller. Le faible nombre de pages (à peine 3 numéros US) peuvent sans doute l’expliquer. Taylor abuse ainsi des raccourcis scénaristiques pour faire avancer son récit. John arrive trop facilement dans cette affaire d’hommes riches suicidés tout nu avec des ailes dans le dos, il remonte la piste du meurtrier par de trop simples déductions, ce dernier est comme par hasard lié à la mort de Billy…

Tout est un peu trop facile, d’autant que Taylor ne néglige ni ces personnages secondaires, ni des intrigues parallèles. Au final, c’est bien John lui-même qui se retrouve être le nexus de cette affaire. Mais son personnage est paradoxalement si peu mis en avant, que les ficelles narratives perdent de leur efficacité, de leur puissance. Certes, le lecteur va comprendre ce qu’écrit Taylor, mais il aura du mal à le ressentir, à s’y projeter émotionnellement. D’autant plus dommage que le drame a du potentiel. Entre la perte de sa mère, ses relations avec son père et son passé turbulent, Constantine aurait mérité un traitement plus en profondeur pour emmener le lecteur avec lui, depuis les rues sales de Liverpool, par ses déliriums occultes, jusqu’à ces hommes riches suicidés tout nu avec des ailes dans le dos.

Ce n’est pas le seul écueil du travail de l’auteur, même si le suivant est peut-être plus subjectif. Z ‘avoue, z’aime bien mon Zohn Constantine à la frontière, un pas chez nous, un pas dans l’autre monde. Celui qui est caché, dans l’ombre, interdit au commun des mortels. Nous croyons le deviner parfois, du coin de l’œil, une rumeur entendue, une légende urbaine lue, mais il nous reste inaccessible. Ici, Taylor ne s’embarrasse pas de ce genre de détail. La dernière partie est ainsi violemment bourrine et détruit en quelques pages l’ambiance jusque-là délicieusement décalée. A rapprocher du final du Hellboy de Neil Marshall, et non, ce n’est pas un compliment. L’auteur ne s’embarrasse pas des conséquences hallucinantes de ses dernières pages et trace tranquillou vers un final facile.

 

Darick est mon berger !

Heureusement, plusieurs points peuvent sauver la lecture : les sarcasmes bien sentis de John, l’énergie communicative de l’inspectrice Bukhari, un néo-fantôme déprimé et, bien entendu, le Premier des Déchus lui-même. Satan en business tour en Angleterre apportant un piment aussi brûlant que délicieux aux turpitudes de John et des siens. Les personnages en somme, bien caractérisés, partant de bases connus sans verser dans le cliché.

Cela n’aurait pas suffi à ce que Rise and Fall reste dans ma bibliothèque si l’ami Darick n’était pas aux crayons. Oh là aussi, des choses à dire. Son trait est moins rugueux qu’à son habitude et curieusement lisse ici et là. Malgré les dires de l’artiste qui avance s’être éclaté sur ce titre, son crayon semblent paradoxalement plus maîtrisé. Les décors sont basiques (un comble lors que l’on dessine les rues de Liverpool), autant que ses cadrages. Là aussi, la narration trop abrupte de Taylor lui a peut-être moins laisser de liberté. Pour retrouver ce bon vieux Darick, tournez vous plutôt vers le plutôt cool « Space Bastards » sortis le mois dernier chez les Humano.

Un petit Constantine donc malgré la belle édition Urban Comics. Le titre est à peine sauvé si vous êtes fan de Satan, de Darick Robertson, et si le manque est trop important. Hélas, même la tourbe, le fumé et l’iode du Lagavulin, pourtant absorbé en quantité par John, ne sera pas suffisant pour ajouter saveur, rondeur et corps à ce récit. Jetez plutôt un œil à la collection Hellblazer chez Urban, sachant que si vous ne faîtes par les volumes de Garth Ennis, il y a un cercle en Enfer rien que pour vous…

 

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