Sanctum Comicsum : Secret Empire

Steve Rogers à l'assaut du Marvel Universe

Marvel et DC comics restent les deux éditeurs principaux de comics de super héros aux USA. Les rivaux joutent mois après mois pour attirer et conserver les lecteurs au sein de leur monde partagé super héroïque. L’une des armes qu’ils utilisent est le crossover.

Que cela soit chez l’un ou l’autre éditeur, les super héros vivent (plus ou moins) sur la même Terre. Leurs aventures se déroulent en parallèle les unes des autres mais peuvent exceptionnellement se croiser. Il s’agit des fameux crossovers. Le principe, en général, est qu’une menace d’une très grande ampleur, Thanos souvent, va frapper la Terre. Et les super héros doivent s’allier pour y répondre (je schématise, mais vous avez compris l’idée).

Marvel Comics est peut-être le plus friand de ce genre d’exercice éditorial, l’ayant rendu presque annuel. Le fait de proposer une histoire « grandiose » est le moyen de communiquer un maximum sur cet évènement pour y attirer la lumière des projecteurs. Les éditeurs en général ajoute les fameux « tie-ins » : les séries classiques se mettent en pause le temps du crossover pour proposer un arc narratif en rapport avec ce dernier. L’évènement est ainsi global et souvent accompagné d’une galerie de couvertures stylées et de promesses en tout genre (décès d’un perso important ou le fameux « rien ne sera plus comme avant »).

Néanmoins, si le principe est plutôt excitant, la mise en application divise souvent les lecteurs qualitativement. Les derniers en date ont notamment été peu appréciés : Civil War II, Secret Wars, Axis, Original Sin…

Hail Supreme Commander Rogers

Alors pourquoi s’arrêter sur ce Secret Empire, le crossover de 2017 ? (Attention, une information ci-dessous pourrait être considérée comme un spoiler majeur, mais elle est donnée aux lecteurs dès les premières pages)

Premièrement, l’homme aux manettes est Nick Spencer. Au-delà du fait qu’il est l’auteur du trop peu connu et pourtant excessivement fun The superiors foes of Spider-Man, il a en main les séries de la famille Captain America depuis de nombreux mois. D’une part, il écrit la série Captain America : Sam Wilson, où ce dernier, afro-américain, est le Captain America officiel, adoubé par Steve Rogers lui-même. Spencer aborde les conséquences de ce choix sur la société américaine et Sam Wilson doit affronter de nombreux ennemis, ainsi qu’une partie conservatrice de l’opinion publique. Le titre ne va peut-être pas assez loin pour un lecteur européen, mais a le mérite de ne pas refuser des sujets délicats.

En parallèle, Spencer ajoute le titre Captain America : Steve Rogers où il lâche vite la bombe qui mènera à Secret Empire : Rogers est un agent de l’Hydra, organisation terroriste qu’il a combattu officiellement toute sa vie.

Voilà l’autre point plutôt excitant de ce crossover : le grand méchant n’est autre que Captain America. Au-delà du choc pour ses alliés, l’idée que le meilleur d’entre tous puisse devenir l’ennemi est diablement prometteuse !

Via ces deux titres, Nick Spencer a donc pu amener son histoire, l’introduire petit à petit. Secret Empire n’est donc pas un crossover parachuté, à la différence de quelques autres de sinistre mémoire, notamment Fear Itself, Age of Ultron ou le récent Civil War II.

Et les débuts sont tonitruants ! Les héros de la Terre sont écrasés comme rarement par leur ancien ami et les terribles forces de l’Hydra balayent tout sur leur passage. L’histoire est indéniablement ambitieuse, ramenant la population, les gens « simples », au milieu du conflit. Spencer avait commencé dans les séries précédentes (l’arc #TakeBackTheShield avec Sam Wilson, la montée de l’Hydra parmi la population déçue et en colère), et il persiste ici. Dans un premier temps, il n’hésite pas à inclure le gouvernement américain, le sénat et même le Président. L’idée de génie : Rogers et son Hydra propose une alternative à la toute-puissance des super héros. Ils sont accusés d’avoir oublié leur raison d’être initiale, protéger les faibles, et semblent préférer les luttes intestines puériles. Civil War II, encore lui, le crossover précédent, est ainsi souvent nommé et référencé. Il forme presque une gigantesque introduction à Secret Empire, ce qui lui donne en écho une qualité et une ampleur insoupçonnées lors de sa lecture.

A la fin du premier numéro, le monde est à genoux devant Cap et l’Hydra. Les héros sont isolés ou battus comme jamais par un adversaire plus fort et plus puissant. Ce dernier appuie là où cela fait mal. Ces anciens alliés semblent avoir oublié leur devoir et leur arrogance les rends incapables d’être les sauveurs pourtant auto-proclamés. Roger, lui, propose la paix et l’ordre. Sheev Palpatine apprécie.

Tout est en place pour avoir un crossover différent. Où nous, les braves gens, sommes partis prenantes. Où nos héros doivent se remettre en question et se dépasser comme jamais, qui coupe avec les sempiternels méchants de la semaine. Le potentiel est énorme : le monde a changé et la communauté internationale ne peut pas rester sans réagir. Les super héros sont renvoyés dans les cordes, humiliés, rejetés. L’Hydra propose enfin l’ordre dans un monde où les attaques de méchants succèdent aux batailles fratricides entre héros. Quel meilleur « méchant » que celui qui pense que son combat est juste ? Alors… qu’est qui a foiré ?!?

Et là, c’est le drame…

Et bien justement, ce potentiel, ces promesses d’un crossover enfin différent restent lettres mortes. Très vite, le récit se recentre sur une poignée de super héros, délaissant le vaste monde. Et lorsque ce dernier est exploré, c’est uniquement pour aller voir ce que deviennent d’autres visages connus. Nous voyageons donc sur cette Terre où l’Hydra a enfin gagné, presque en touriste. Allons voir ce que devient Namor, Hank Pym, les mutants… Au final, Secret Empire devient presque ce qu’il dénonce : des sempiternels combats vilains contre héros, loin des gens, des pays, des gouvernements, de quelque chose de concret, de vrai, de réel. Là où il aurait pu marquer les esprits, ce crossover rejoint vite d’autres évènements Marvel, retombant presque dans un semi-anonymat. On pense ainsi à Age of Apocalypse, Dark Reign, Age of Ultron.

Donc, pour paraphraser ce grand critique littéraire : DOH ! Mais rien n’est totalement perdu. Après tout, si Secret Empire ne renouvelle pas le schmilblick, peut être vaut-il quelque chose en crossover de super slips? Pour le coup, on s’y retrouve un peu plus il faut dire. Finalement, l’histoire resserrée sur une poignée de personnages jetés dans une crise sans précédent permet de les mettre face à l’abime. Captain Marvel mesure le poids de son arrogance, Œil de Faucon celui de sa culpabilité, Thor celui de sa détresse, Veuve Noire de son passé…Sans aller jusqu’au mélodrame, l’écriture de ces personnages reste bien amenée et intégrée à l’histoire. Spencer assure quand même le principal : du spectacle, du suspense, des passages héroïquement épiques, du combat dantesque et un final à l’image du reste, peu original mais quand même très efficace. Il parvient ainsi à gérer 4 fronts dans cette guerre contre l’Hydra de Rogers et de manière homogène et équilibrée. Même si on sent quelques raccourcis çà et là (complétés par les tie-ins), l’histoire de Spencer se tient sans majeures fausses notes… ma foi, vu les précédents exercices, c’est déjà pas mal !

Graphiquement, cependant, nous avons enfin de l’audace. Habituellement, Marvel Comics confie les dessins à un de ses artistes stars. Secret Empire ne compte pas moins de 8 dessinateurs au style parfois proche de l’indé et qui donne, pour le coup, une vraie identité visuelle. La répartition des tâches est là aussi homogène et si leurs styles diffèrent, on peut noter néanmoins une tendance à la noirceur, à des traits durs et rugueux. Daniel Acuña, Steve McNiven, Leinil Franis Yu sont de ceux-là mais la vraie valeur ajoutée de Secret Empire reste Andrea Sorrentino. C’est l’italien qui livre les planches les plus épiques. Pèle mèle, un Cap Hydra brandissant Mjolnir, un ancien porteur du bouclier qui le soulève à nouveau, l’apparition sanglante du Punisher… Son trait sale et sombre convient parfaitement à ces USA dominés par l’ignoble Hydra et il parvient souvent à apporter de l’intensité aux moments clefs, notamment la tragique mort de XXXX.

Y en a qui ont essayé…

J’avais vraiment envie d’aimer Secret Empire mais il rate l’impensable. Alors que tout était en place pour une histoire ambitieuse et épique, Spencer (et Marvel) ressort des ficelles vues et revues, gâchant la fête. Il reste un début grandiose, de bons moments super héroïques et un parti pris visuel intéressant. Tout cela laisse néanmoins un goût amer dans la bouche, d’inachevé. Comme si au dernier instant, l’éditeur avait cédé aux sirènes du mainstream, de l’absence de prises de risques, préférant ronronner dans son coin que de rugir à faire trembler la savane.

les autres critiques de Matthieu ici

1 commentaire
  1. […] où pullulent sans contrôle les super héros. Citons bien entendu le Civil War de Mark Millar ou Secret Empire de Nick Spencer (plaçage de produit n°2, thug life). Mais Bendis habille suffisamment son titre pour le rendre, […]

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